Un petit texte écrit pour clôturer les 26 èmes Journées nationales des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, qui se sont déroulés à Rennes les 5 et 6 novembre derniers. Le programme qui a été proposé et l’argumentaire se trouvent encore sur le site www.aspmp.fr
« Une rencontre n’est que le commencement d’une séparation » dit un proverbe japonais. Il était donc évident pour moi, au moment de rédiger la conclusion de ses Journées, qu’était venu le moment d’en parler. Corrollaire inéluctable de la rencontre, qu’elle soit temporaire ou définitive, la séparation est parfois difficile, pour nos patients comme pour nous. Parce qu’elle n’est pas souhaitée ni prévue comme c’est le cas lors des transferts pénitentiaires. Parce que nous avons le sentiment de les priver d’un refuge en mettant fin à une période d’hospitalisation, d’autant qu’ils savent bien, question de survie, nous solliciter sur le mode de la protection. Parce qu’ils en ont vécues tant sur le mode de la rupture qu’ils pourraient reprendre à leur compte les mots de Balzac « Une séparation est l’avant-coureur de l’abandon et l’abandon c’est la mort ». Nous avons nous-même sentis une douce chaleur nous envahir en étant réunis dans cette salle, baignant dans cette élaboration collective. Et peut-être sentez-vous un certain vague à l’âme à l’idée que nous repartions chacun de notre côté. Mais la séparation nous remet en marche et nous ne repartons pas tout à fait comme nous sommes arrivés : nous emportons avec nous quelque chose, la trace d’une réalité partagée. Paradoxale séparation qui crée à la fois notre irréductible solitude, nous donne notre profonde liberté et nous relie aux autres.
Aussi cette séparation, il faut la souhaiter pour notre discipline et la préparer pour nos patients.J’espère que ce congrès aura permis de montrer que la psychiatrie a son domaine d’expertise dans lequel elle est tous les jours au travail et doit être entendue, mais qu’il faut être vigilant à ce qui alimenterait le fantasme d’une psychiatrie omnipotente et omnisciente, qui s’immiscerait dans toutes les institutions du corps social comme une caution humaniste et bienveillante et les déresponsabiliseraient. Je dirai donc à ce propos que la séparation est le commencement de la rencontre. Car si nous ne sommes qu’un, nous ne pouvons pas nous rencontrer.
Je voudrais terminer en vous parlant d’un patient. Je travaille depuis quelques mois déjà à son projet de sortie et à la recherche d’une structure adaptée à la fois à son angoisse de sortir du giron de l’institution, lui qui ne connait depuis 1998 que la prison et l’hôpital, et à son désir de renouveau et de rupture. Je dois régulièrement faire face à ses attaques contre la psychiatrie avec un grand P, suspecte tantôt de collusion avec la justice, tantôt d’abandon. Son infirmière quant à elle, doit se dépêtrer avec une relation que le patient cherche toujours à entrainer du côté de l’exception, de l’exclusivit » et de la sphère amicale voire amoureuse. Aussi qu’elle ne fut pas ma surprise lorsqu’il me dit, moins d’un an avant sa sortie potentielle, qu’il songeait à changer d’infirmière référente, pour une raison spécieuse : elle s’inscrivait à un DU (diplôme universitaire) et il se disait qu’elle aurait trop de travail et ne pourrait plus s’occuper de lui. Je lui proposais plutôt l’hypothèse qu’il cherchait à anticiper et garder le contrôle sur la douleur qu’allait lui causer cette séparation future. Il me confirma qu’il cherchait en effet une solution pour « tourner la page » en douceur, ce qu’il n’avait jamais pu faire avec qui que ce soit et nous discutâmes de la « bonne » façon de faire ses adieux. Il a conclu en me disant : « il faut pouvoir dire des au revoir pour pouvoir dire des bonjour. »