Continuer à arrêter ou le paradoxe des traitements de substitution aux opiacés

Après avoir parlé de la politique de réduction des risques pour les personnes toxicomanes en détention, la suite logique était d’évoquer les soins addictologiques… Bien que les deux démarches ne soient pas  opposées, les soins addictologiques  visent cette fois les personnes qui souhaitent  arrêter ou du moins diminuer la consommation de produits.

Je parlerai surtout du sevrage en opiacés (héroïne et dérivés), pour lesquels il existe une prise en charge spécifique, les traitements de substitution ou TSO.

Une des premières difficultés pour la personne qui souhaite arrêter est qu’elle va devoir faire face à des symptômes « de manque » ou symptômes de sevrage, tant physiques que psychiques, extrêmement désagréables :  douleurs lombaires et abdominales intenses, diarrhée, sueurs profuses, sensations de chaud/froid, troubles du sommeil, anxiété voire impression de mort imminente, irritabilité… et ce pendant plusieurs jours, ce qui est bien évidemment un frein à l’arrêt ou un facteur de rechute puissant dès le début de la tentative.

Un autre phénomène très important pour comprendre la problématique du sevrage est la « centration », c’est à dire l’envahissement du psychisme et de la vie de la personne par tout ce qui a trait au produit : envie de consommer, rêves ou cauchemars autour du produit, réflexions ou actions pour se procurer le produit ou l’argent nécessaire pour acheter le produit, temps passé à anticiper le plaisir de la consommation ou se remettre de ses effets, réseau amical de dealers et de consommateurs… Cette centration peut persister longtemps et soumettre la volonté de la personne à rude épreuve. Elle peut aussi laisser quand elle s’estompe un sentiment de vide si un autre projet de vie n’a pas été construit à la place.

Enfin, tous les individus qui consomment de la drogue ne deviennent pas dépendants, quel que soit son potentiel addictogène ou l’intensité du plaisir qu’elle procure. Cela se produit quand le produit vient, au moins dans un premier temps, soulager ou recouvrir un vécu psychique négatif qui risque de  resurgir à nouveau.

Il  existe deux TSO : la buprénorphine (nom commercial et plus connu Subutex) et la méthadone. Ce sont tous les deux des produits opiacés, avec les mêmes symptômes en cas de sevrage brutal, ce qui peut  faire dire à certains, y compris des patients, qu’il s’agit de remplacer une drogue par une autre.  Pour sortir de cette impasse intellectuelle, il faut garder en tête que l’objectif du TSO n’est pas l’arrêt du TSO mais l’engagement dans une démarche de soins, la décentration, l’arrêt des consommations de drogues et  la reconstruction d’un projet de vie.  L’arrêt du TSO pourra venir ultérieurement… ou pas, certains patients restant des années voire toute une vie sous traitement. Pour les autres, la diminution très progressive, dans une période de stabilité psychique et matérielle, est le meilleur gage de réussite. Autant dire qu’un séjour en détention n’est en règle générale pas le moment idéal !

Un discours parfois difficile à entendre pour les patients pour qui l’arrêt du traitement serait un signe que cette période de leur vie est définitivement révolue ou une preuve de bonne volonté à donner à leur famille… voire au juge !