Combien de m² pour être en bonne santé ?

Je voudrais aujourd’hui vous parler de la surpopulation carcérale. Vous trouverez les chiffres suivants dans tous les journaux, qui alertent régulièrement l’opinion publique sur ce sujet. Cependant, ils se penchent peu  sur les conséquences que cette surpopulation peut avoir en terme de santé, et notamment de santé psychique. Ces conséquences, je les vois pourtant quotidiennement.

Au 1er juillet 2016, le taux d’occupation des prisons françaises atteignait un triste record : 117.5 % ce qui correspond à 69 375 personnes incarcérées pour 58 311 places opérationnelles.

Ce chiffre recouvre des situations diverses. Dans les centres de détention, où sont incarcérées les personnes condamnées à de longues peines, la situation est correcte avec un taux d’occupation à 93.9%. Dans les maisons d’arrêt par contre, où sont détenues les personnes prévenues et les personnes condamnées à des peines inférieures à 2 ans, le taux d’occupation est de 140%. Certains chiffres sont plus affolants encore : en Ile-de-France, 8 maisons d’arrêt sont saturées avec 167% d’occupation. La maison d’arrêt de Nîmes affiche 200% de taux d’occupation et celle de Faa’a-Nuutania en Polynésie Française 318.5%.

Concrètement, cela signifie que 1 648 personnes dorment au sol dans les prisons françaises et que la plupart du temps, une cellule d’environ 10 m2 est occupée par 3 personnes qui y passent 22h/24.

En effet, les maisons d’arrêt, contrairement aux centres de détention sont obligées d’accueillir tous les détenus que les tribunaux leur envoient. Comme le disait un directeur désabusé, « on commence à manquer de sol ».

Outre le nombre de personnes par cellule, la taille des dites cellules est également un problème. L’encellulement individuel, principe inscrit dans le code pénal en 1875 et dont l’application est sans cesse repoussée, est une notion d’espace par personne. Ainsi, une cellule de moins de 11m2 ne peut accueillir qu’une seule personne, une cellule entre 11 et 14m2 deux personnes, etc… Il n’y a par contre pas de précision sur la taille minimum d’une cellule pour une personne. Bien que le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) n’ait jamais établi directement de telle norme, il a formulé des recommandations pour une surface minimale de 9 à 10m2. Seules 63% des cellules françaises font plus de 9m2 et les détenus comme nous l’avons vu, n’y sont pas seuls dans la plupart des cas. En fait, seuls 39% des détenus bénéficient d’un encellulement individuel et 20% en maisons d’arrêt.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme épingle fréquemment la France pour traitements dégradants aux détenus. En 2013, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture Juan Mendez a estimé que la surpopulation carcérale « débouche sur des conditions s’apparentant à des mauvais traitements, ou même une forme de torture ».

Pour le psychiatre, ces chiffres se traduisent par un ensemble de situations individuelles qui nous questionnent tant d’un point de vue diagnostique que thérapeutique.

Sans m’être livré à une étude épidémiologique exhaustive, je constate que les diagnostics de « réaction aigüe à un facteur de stress » ou de « trouble de l’adaptation » sont fréquemment posés à l’issue des consultations psychiatriques au SMPR. Cela soulève bien évidemment la question de la frontière entre le normal et le pathologique : Jusqu’à quel point un individu disposant de capacités d’adaptation « normales » peut-il faire face ?  Que peut tolérer un être humain en termes de privation de liberté et  de promiscuité sans que son état psychique ne se trouve altéré ? Quelle est la réponse « adaptée » à une situation d’indignité ?

Un être humain a un besoin fondamental d’un certain espace pour évoluer, d’une intimité tant physique que psychique :  on parle d’ailleurs dans le langage courant d’ « espace vital ». Il n’est donc pas étonnant que l’en priver déclenche des réactions de détresse, une anxiété, une irritabilité, parfois même des attaques de panique.
Si les conditions de détention s’apparentent à une forme de torture, la tortue étant d’après le dictionnaire Larousse « une souffrance physique ou morale extrême », il me parait  illogique de considérer  les manifestations de cette souffrance comme pathologiques. Il me semble que nous sommes là dans un contexte de stress dépassé, qui est au-delà des capacités d’homéostasie de notre organisme ou de notre psychisme. Pour prendre un exemple du côté somatique et redonner un peu de légèreté à cet article, c’est comme si nous mettions un individu en slip sur la banquise et considérions ensuite son hypothermie comme un dysfonctionnement de son hypothalamus ! Il est ici évident pour tout le monde que le système de régulation thermique a fait ce qu’il a pu, provoquant frissons et tremblements pour faire remonter la température mais que un humain n’est tout simplement pas fait pour vivre nu par des températures négatives.

 

D’autre part, cela suscite des interrogations éthiques quant à la prise en charge que nous pouvons proposer dans ces conditions. Prenons l’exemple d’ un patient qui dort mal  parce que son activité physique est réduite, qu’il dort sur un mauvais matelas à même le sol et que son codétenu veut laisser la télé allumée toute la nuit ( car lui non plus ne trouve pas le sommeil) ? Quels conseils hygiéno-diététiques lui prodiguer qu’il pourra suivre ? Vais-je lui prescrire un traitement hypnotique avec les risques de dépendance et de troubles cognitifs que cela entraine ?

Si un autre patient présente un épisode dépressif majeur avéré modéré ou sévère, il relève cette fois bel et bien d’un traitement par antidépresseur. Mais va-t-il être aussi efficace que dans l’étude randomisée contre placebo sachant que mon patient a interdiction de communiquer avec sa famille et qu’il n’a pas eu de nouvelles de ses jeunes enfants depuis plusieurs mois ? San relancer le débat sur les dépressions réactionnelles versus endogènes, ne peut-on pas penser qu’il y a là sinon un facteur déclenchant, du moins un facteur favorisant et entretenant le trouble ?

Le risque est grand pour notre société de se reposer sur l’idée confortable que ce sont les personnes qui dysfonctionnent et non pas le système. De se donner bonne conscience en multipliant les SMPR et les UHSA sans se questionner sur la raison pour laquelle de nombreux individus n’ayant aucun antécédent psychiatrique ont recours aux soins voire à un traitement médicamenteux en détention… De laisser cela au psychiatre sans se questionner sur la façon dont quelqu’un ne dormant pas la nuit va pouvoir suivre un programme de réinsertion…